“La question philo” est une chronique animée par le philosophe
Charles Pépin sur France Inter. Elle s’écoute à la radio le samedi vers
8h45, mais
aussi en podcast. Pour les bidouilleurs, on peut même en extraire le
fichier MP3 en analysant le code source (control+U sur Firefox); cette
chronique est donc accessible à
cette adresse directe.
Mais là n’est pas le propos. Afin de ne pas perdre cette chronique que
j’ai trouvée admirable, je l’ai transcrite en texte (à l’aide de ce site en
ligne).
AB:
Tout de suite à 8h51, la question philo Charles. Tous les samedis vous répondez donc aux auditeurs d’Inter et aujourd’hui Charles, voici la question.
Charlotte:
Bonjour, c’est une question pour Charles Pépin de la part de Charlotte. Est-ce que la foi religieuse est nécessairement folle ?
AB:
Charles, il faut répondre à Charlotte, la foi en Dieu est-elle nécessairement folle ?
CP:
Une chose est sûre, croire en un Dieu que personne n’a jamais vu, qui serait le créateur du ciel et de la terre, omnipotent, omniscient et doté d’une infinie puissance d’amour, pour cela n’est pas, à proprement parler, très raisonnable.
AB:
Alors, pas très raisonnable, d’accord, mais est-ce que c’est une raison pour parler de folie ?
CP:
Eh bien, la question de Charlotte est très bien posée. Il ne s’agit pas de dire que tous les croyants vont se comporter comme des fous, mais de rappeler qu’en effet, la foi est folie. La foi en Dieu est déraisonnable, irrationnelle, et c’est précisément cela qui fait sa beauté. Si l’existence de Dieu était démontrée, il n’y aurait précisément pas à y croire. Dieu ne se prouve pas, il s’éprouve, écrit Pascal. Toute personne qui, donc, dit croire en Dieu raisonnablement, ou croire en Dieu par une adhésion rationnelle à des prétendues valeurs, semble ne pas saisir ce qui se joue dans la foi, dans ce que Kierkegaard nomme si bien le saut méta rationnel de la foi.
AB:
Alors, il le dit si bien, mais le saut méta rationnel de la foi de Kierkegaard, il faut quand même expliquer ce que c’est.
CP:
Alors, méta, ça veut dire à la fois au-dessus et au-delà. Donc, la foi en Dieu, croire en Dieu, c’est faire un saut au-delà de la raison. Alors, bien sûr, on peut avoir des raisons de croire en Dieu, nombreux d’ailleurs sur les grands croyants qui furent aussi de grands savants rationalistes, mais il n’en reste pas moins que le fait de croire en Dieu, d’accorder du crédit à une réalité aussi hypothétique et improbable que l’existence de Dieu, relève, au sens propre de la folie, de ce saut méta rationnel au-delà des limites, donc, du raisonnable et du rationnel. Kierkegaard dira même jusqu’à affirmer « C’est quand je n’ai plus aucune raison de croire en Dieu que je suis vraiment libre d’y croire ».
AB:
Et c’est pour ça qu’on peut aussi parier sur son existence et non pas la démontrer.
CP:
Exactement.
AB:
Alors, du coup ?
CP:
Eh bien, tout ça nous invite à regarder d’un œil très soupçonneux celles et ceux qui nous disent croire en Dieu parce qu’ils ont été éduqués dans la foi ou parce qu’ils ont grandi dans une culture religieuse donnée et ne l’ont même pas questionné. Voilà qui manque de folie et voilà qui manque de foi. Croire en Dieu, c’est s’être posé vraiment la question et avoir fait en conscience et librement ce saut vers l’inconnu. Avoir décidé de s’en remettre à l’inexpliqué, au mystère, de croire en l’irrationnel. Bien sûr donc, chère Charlotte, que la vraie foi est folle et encore une fois, elle est belle pour cette raison. D’ailleurs, les fanatiques sont probablement ceux qui refusent de voir la foi comme une belle folie.
AB:
Oui, parce que c’est à eux qu’on pense depuis que vous avez commencé votre démonstration.
CP:
C’est pour ça que je réponds à l’objection. Les fanatiques sont les premiers à affirmer qu’on n’a pas le droit de douter de leur Dieu parce qu’il est la vérité, la loi et surtout pas l’objet d’une croyance qui se sait déraisonnable et irrationnelle.
AB:
En fait, ils confondent leur croyance avec un savoir.
CP:
Et donc, ils nient le caractère de folie propre à toute croyance. Au fond, le fanatique, c’est lui qui va se comporter comme un fou, être intolérant ou violent. C’est lui, éventuellement, qui va se faire sauter dans un attentat suicide. A l’inverse, reconnaître la foi comme une belle folie par laquelle on accorde du crédit à une réalité hautement hypothétique ouvre un chemin de tolérance et de respect. Si je me sais fou de croire en un Dieu que personne n’a jamais vu pourquoi irais-je agresser celui qui n’y croit pas ? Si je sais, souvenez-vous de Kierkegaard, que je n’ai aucune raison valable de croire en Dieu mais que j’y crois quand même, pourquoi irais-je m’en prendre à celui qui avance toutes les bonnes raisons de ne pas y croire ?
AB:
Ça paraît logique.
CP:
Ici comme ailleurs, ce sont donc plutôt ceux qui reconnaissent leur folie qui se comportent de manière douce et raisonnable. Et ceux qui sont persuadés de n’être pas fous du tout mais parfaitement raisonnable et surtout parfaitement rationnel qui vont se comporter comme des fous irresponsables. Oui, chère Charlotte, la foi en Dieu est une folie mais plus j’en suis conscient, moins je risque de me comporter comme un fou.
AB:
Joyeuse Pâques, vous l’avez mérité. Merci Charles Pépin. Je rappelle que votre pièce La Joie reprend ce jeudi 24 avril à Paris au théâtre du Montparnasse. Ce sera la centième et vous allez justement montrer que La Joie elle aussi est aussi folle et elle est folle comme la foi.